Après la mort prématurée de Edsel Ford, le 26 mai 1943, la marque Lincoln, dont Edsel occupait le poste de président, avait perdu beaucoup de son prestige. Sans son protecteur, la marque Lincoln semblait à la recherche de son image sans être capable de déterminer dans quel créneau du marché elle devait se situer. Après avoir acheté la marque Lincoln, le 4 février 1922, Henry Ford donna la présidence de la compagnie à son fils Edsel. Ce dernier avait un sens de l’esthétique raffiné. Il entreprit de bâtir une image de prestige à la Lincoln, en embauchant des carrossiers tels que Judkins, Fleetwood, Holbrook, Dietrich, Le Baron, Willoughby, Loke, Derham, Murphy, American, Waterhouse, Rollston, Murray, Badcock, Lang, et Brunn. Sous la direction de Edsel Ford, ces derniers ont construit les plus belles carrosseries de l’époque dite « classique ». Les meilleurs matériaux et les tissus les plus fins étaient utilisés, sans égard aux couts de production, pour produire ces automobiles de prestige. La grande dépression de 1929 siffla la fin de la récréation. Le créneau de la voiture luxueuse venait de disparaitre en l’espace de quelques mois. Pour survivre, Lincoln dut ouvrir un second créneau, en occupant la gamme intermédiaire, avec la Lincoln Zephyr V-12, tout en continuant de fabriquer des Lincoln Custom, certaines carrossées par les carrossiers-artisans cités plus haut. Avec la crise économique qui semblait ne jamais se terminer, ces grosses Lincoln se vendaient au compte-goutte.
En 1949, toutes les marques, chez Ford, faisaient les frais de changements en profondeur. Chez Lincoln, en fait, on présentait deux gammes de Lincoln, les deux, motorisées par un nouveau V-8 à soupapes latérales, d’une cylindrée de 337 p. c., emprunté à la Division Camion de Ford. L’entrée de gamme était représentée par la Lincoln 9EL, qui partageait sa carrosserie avec la Mercury. Elle avait toutefois un empattement trois pouces plus long que cette dernière, à 121 pouces. Le modèle haut de gamme portait le nom de Cosmopolitan. Elle avait un empattement de 125 pouces. Ce modèle marquait le retour de Lincoln dans la gamme des voitures de prestige, pour contrer Cadillac qui était devenue pratiquement seule dans cette gamme. Les Lincoln 1949 avaient été complètement redessinées, avec une nouvelle suspension, de nouveaux freins, un nouveau châssis et un nouveau moteur, comme nous l’avons vu plus haut. Les Lincoln et Cosmopolitan ont été bien reçues par le public, se vendant aux nombres de 38 384 et de 35 123 exemplaires, respectivement. Chez GM, on réservait une mauvaise surprise à Ford. Quelque temps plus tard, on lançait les nouveaux moteurs V-8 à soupapes en tête de Cadillac et de Oldsmobile. La Lincoln, malgré toutes ses nouveautés, devenait, du jour au lendemain, obsolète face à ses concurrentes. La question que se posait le public était de savoir où se situait la Lincoln. Était-elle dans la même classe que la Cadillac ou était-elle qu’une Mercury plus luxueuse. Une chose est certaine, le prestige de la marque Lincoln venait d’encaisser un sérieux revers. La Division Lincoln prenait un nouveau virage, en 1952, en mettant l’accent sur la haute performance. Trois années de suite, 1952-53-54, Lincoln gagna la course Carrera Panamerican. Les nouvelles carrosseries de la Lincoln étaient plus courtes, donc plus légères. Les lignes de sa carrosserie étaient nettes et droites, dépourvues de fioritures inutiles, comme c’était souvent le cas, à cette époque. De plus, elle profitait d’un nouveau moteur à soupapes en tête d’une cylindrée de 317,5 p. c. dont la puissance était portée à 160 ch. Le châssis était également nouveau, avec en prime deux premières, dans le monde de l’automobile, soit une suspension avant à joints de rotures et des pédales d’embrayage et de frein, suspendues.
Malgré toutes ces nouveautés, la clientèle qui était en mesure d’acheter une Lincoln continuait de se poser des questions. À leurs yeux, la Lincoln avait une carrosserie trop ressemblante à celle de la Mercury, de gamme évidemment inférieure. Et de façon récurrente, la question à savoir quel était le créneau du marché occupé par la Lincoln revenait sur le tapis. Quelle place occupait la Lincoln? Était-elle une automobile de prestige ou une voiture à haute performance se défonçant sur les routes du Mexique? Aujourd’hui, nous sommes habitués à voir des automobiles de prestige, telles que BMW, Mercedes, Cadillac, fournir des prestations dignes d’une Formule 1. À cette époque, une auto ne pouvait être les deux à la fois dans l’esprit des gens. À cet égard, le prix de vente de la Cosmopolitan, qui était devenue le modèle d’entrée de gamme, était fixé au départ à 3 198,00 $ (4 875,00 $ au Canada) soit le même prix qu’une Buick Roadmaster. Même la Lincoln Capri, de gamme supérieure, avait un prix de vente beaucoup plus bas que la moins chère des Cadillac Série Sixty-two. Visiblement, Lincoln avait laissé le marché de la voiture de prestige à Cadillac. Une situation dont GM tira profit sans vergogne, au cours des années cinquante. Au cours de cette période, les ventes de Cadillac avaient augmenté de 250 %, alors que celles de Lincoln ne connaissaient qu’une augmentation de 42 %. Il n’en demeurait pas moins que Lincoln construisait de bonnes automobiles, au cours de ces années, de bonnes routières, très performantes qui valaient bien leur prix de vente, mais qui cherchaient encore la clé du succès. Lincoln prenait une nouvelle direction, en 1956. Cette fois, les gestionnaires de la compagnie avaient le couteau entre les dents. Ils attaquèrent Cadillac modèle contre modèle. La carrosserie était plus longue de 7,5 pouces que celle des modèles 1955. En fait, elle dépassait celle de la Cadillac Sixty-Two de 8 pouces. La suspension avait été rendue plus douce, afin d’attirer la clientèle qui aimait avoir son postérieur bien confortable, à l’épreuve des soubresauts de la route. Toutefois, malgré cette concession sur la tenue de route, la Lincoln demeurait une voiture très rapide et pour qu’elle le demeure, la cylindrée du moteur passa de 341 à 368 p. c. et sa puissance de 225 ch à 285 ch..
Complètement redessinée, la Lincoln 1956 obtenait un prix de la Industrial Design Institute pour l’excellence de son dessin. Bien que sa silhouette semblait plus large et plus profilée, elle conservait néanmoins les caractéristiques de la Lincoln, plus particulièrement en ce qui a trait à ses feux arrière et de sa calandre. Cette fois, les styliciens avaient mis dans le mille. Les ventes grimpèrent à 50 322, sans compter celles de la Continental Mark II, qui était une marque différente, à cette époque. C’était la meilleure année depuis 1949. Devant ce succès, les planificateurs chez Lincoln avaient décidé que la prochaine étape logique était de battre Cadillac à son propre jeu, en mettant sur le marché une automobile plus grosse, plus spacieuse, plus puissante et plus imposante que la Cadillac, tout en ayant un style différent. Sur de nombreux points, la Lincoln 1958 était un changement radical des pratiques habituelles de la compagnie. Dans un premier temps, il fut décidé qu’elle serait assemblée côte à côte avec la nouvelle Thunderbird quatre passagers, dans l’usine de Wixom, Michigan. Cette usine avait été conçue pour produire des carrosseries monocoques. Construire une carrosserie monocoque aux dimensions si généreuses n’avait jamais été fait. Cela représentait un grand défi aux ingénieurs. L’axiome qui régnait dans cette industrie, à l’époque, était que les carrosseries monocoques étaient destinées qu’aux petites voitures. Earle MacPherson, celui qui a inventé la suspension avant portant son nom, était l’ingénieur en chef chez Ford. Il réfuta les objections de ses ingénieurs. Il était inflexible, les carrosseries seront monocoques, point à la ligne. La mise au point de cette carrosserie fut longue et ardue. Pour lui donner la rigidité nécessaire, les ingénieurs avaient dû lui ajouter beaucoup de pièces de renforcement, tellement que la voiture avait une masse supérieure de plus de 300 livres à celle de la Lincoln 1957. Pour déplacer un tel mastodonte, on porta la cylindrée du moteur à 430 p. c. et augmenta le taux de compression à 10,5:1, ce qui porta sa puissance à 375 ch. La transmission automatique dut être modifiée pour être capable d’absorber le couple du moteur de 490 livres/pied. Pour arrêter les élans d’un poids de 4 735 livres, les surfaces des garnitures de frein furent augmentées de 41 %. La suspension arrière fut également changée pour adopter des ressorts à boudin.
La carrosserie avait été dessinée pour en mettre plein la vue, avec ses flancs sculptés, sa calandre large et imposante et sa carrosserie de plus de 19 pieds de long. Elle avait un pied de plus que celle de la Cadillac Sixty-Two. Pour profiter du prestige, à défaut des profits que la Mark II 1956-57 n’a jamais générés, on décida d’utiliser ce nom et de l’appliquer sur les modèles haut de gamme, en lui ajoutant Mark III. Elle se distinguait des Lincoln Capri et Premiere, que par une grille de calandre et des feux arrière différents, en plus des intérieurs beaucoup plus luxueux et sur la berline, un toit dont la lunette arrière avait une pente inversée. La Continental a donc été lancée en grande pompe. Le synchronisme ne pouvait pas être pire, pour annoncer un nouveau modèle. Une crise économique, aussi inattendue que sévère frappa l’Amérique du Nord. Quand l’argent est rare, l’achat d’une automobile se retrouve loin, sur la liste des choses à faire, surtout avec un prix de vente de plus de six-mille dollars. Les ventes se sont donc chiffrées à un maigre 29 684, dont seulement 12 550 Continental. Pour l’année 1959, quelques changements mineurs furent apportés, aux feux arrière et à la calandre. Le taux de compression du moteur fut diminué à 10,0:1, afin de le rendre un peu moins gourmand en essence. Malgré l’économie qui prenait du mieux, les ventes continuèrent de péricliter, pour se chiffrer à seulement 26 906, incluant 1 125 Continental Mark IV. Notre vedette qui appartient à M. Michel Lamontagne, depuis qu’il s’en est porté acquéreur, en 1999. Elle a fait les frais d’une restauration en 2005. Elle fait partie des 2 195 exemplaires fabriqués en 1959. Son prix de vente était fixé à 7 056,00 $, US, soit 8 992,00 $ CA. Pour cette somme, on pouvait acheter, à cette époque, une maison confortable. Il y a de quoi devenir nostalgique...