Au début du vingtième siècle, Henry Ford se battait avec l’énergie du désespoir pour fonder sa propre compagnie d’automobile. Il avait d’ailleurs dû s’y prendre à trois reprises pour y parvenir, en 1903. S’il avait suivi les sondages d’opinion de plus près, en se laissant influencé par ces derniers, il aurait sans doute conservé son emploi, à la centrale électrique de Thomas Edison, à Détroit. Il aurait continué sa vie peinarde, sans être obligé de courtiser des investisseurs et de se casser la tête à bâtir une automobile pour le peuple, qui de toute façon n’en avait rien à foutre de l’automobile. Au contraire, le bon peuple était à 95 % contre l’automobile. Les journaux de l’époque étaient pleins d’articles haineux contre l’automobile. On y référait comme étant un bidule, bruyant, fumant et puant, inventé par Satan, seulement pour faire prendre le mors aux dents aux chevaux et tuer d’honnêtes citoyens. Certaines municipalités, organisaient une guerre d’arrière-garde, en creusant des tranchées aux limites des villages, afin de prendre les automobilistes en otage et leur faire payer chèrement leurs passages non désirés dans le village, en les menaçant des pires sévisses, étant même prêts à détruire les autos saisies, à la pointe du fusil.
Malheureusement pour les réactionnaires et heureusement pour Henry Ford, de plus en plus de gens se laissaient envouter par les chants des sirènes, ou, si vous préférez, celui des klaxons. En seulement quelques décennies, le cheval qui transportait l’homme depuis des millénaires, se retrouva aux pâturages, condamné au désoeuvrement. Au début de son histoire, l’automobile était l’apanage des bien nantis. Eux seuls avaient les moyens d’acheter et d’utiliser ce nouveau moyen de transport. Une minorité d’individus percevaient le côté utilitaire de cette nouvelle invention. Ayant été élevé sur une ferme, Henry Ford voyait l’utilité, pour un fermier, d’avoir un véhicule plus rapide que le cheval, pour transporter les produits de la ferme aux citadins et transporter, au retour, les matériaux dont ils avaient besoin pour leurs fermes. Avant même que le peuple sache qu’il avait un besoin, Henry Ford consacrait ses énergies à concevoir un véhicule capable de répondre à ce besoin. Dès la fondation de la Ford Motor Company, Henry Ford chercha intuitivement à construire une voiture simple et fiable. Quand la première Ford Modèle A fut construite, en 1903, il retarda la livraison de la première vendue, continuant à perfectionner quelques points qu’il ne trouvait pas assez parfaits à son gout. Parmi les bonnes idées, qui ont été mises de l’avant, au début de l’histoire de l’automobile, la Ford, T se place dans les premiers rangs. Henry Ford y pensait à sa conception depuis près d’une décennie, avant son arrivée à l’automne 1908, et il la maintint pendant pratiquement deux décennies après son lancement, alors qu’il l’abandonnait à contrecoeur. Il la percevait comme la voiture universelle, qui une fois bâtie répondrait, pour toujours, aux besoins de transport de son propriétaire. Bien qu’il avait surestimé ce point, il n’en demeure pas moins que la Ford T y a contribué plus que tout autre véhicule.
La Ford T a contribué à révolutionner le mode de vie des Nord-Américains, en étant un mode de transport fiable et économique, donnant la liberté à ses passagers de découvrir le Monde, ouvrant ainsi leurs horizons. De ce point de vue, la Ford T, historiquement, est le véhicule le plus important à avoir été construit. Elle demeure, encore aujourd’hui, après plus de 100 ans, la plus connue et aimée. Elle est considérée comme étant unique, ne pouvant être comparée à aucune autre. Elle a d’ailleurs été nommée l’automobile du vingtième siècle. C’est tout dire. Plusieurs facteurs avaient permis à Henry Ford de construire l’auto pour le peuple. Une des plus importantes fut la découverte de l’acier au vanadium. Il découvrit cet alliage, en 1905, en examinant une Peugeot accidentée, sur la piste de course de Palm Beach. Il avait remarqué que les pièces de métal avaient tordu, plutôt que de casser, sous l’impacte de la collision. Il s’empara subrepticement d’une pièce de la Peugeot, pour la faire analyser par un métallurgiste. C’était ainsi que le vanadium fit son entrée en Amérique, venant directement de France. D’autres facteurs étaient la façon dont la Ford T était manufacturée et surtout de la façon dont elle avait été conçue. Sa conception était un modèle de simplicité, alors que sa structure était d’une solidité notable, grâce au vanadium. Son moteur était également de conception révolutionnaire, pour l’époque. Coulé en bloc, avec sa culasse détachable et sa puissance de 20 ch, il était en avant de son temps. C’était la combinaison de toutes ces innovations, réunies dans une seule voiture, avec un prix de vente à la portée de pratiquement toutes les bourses, qui ont fait le succès et la réputation de la Ford T. Évidemment, Henry Ford n’avait pas construit la Ford T seul. Il était entouré de gens très compétents et imaginatifs, pour le seconder. Dès le début, Childe Harold Wills s’était joint à lui. Ce dernier était un dessinateur hors pair, doublé d’un métallurgiste. C’est d’ailleurs lui qui a dessiné le logo de Ford, encore utilisé aujourd’hui. À ces derniers, s’ajouta Joseph Galamb, un ingénieur allemand, puis Charles Sorensen, modeleur. Cette équipe se réunissait dans une petite pièce, au troisième étage de l’usine Ford de la rue Piquette, à Détroit. Enfermés sous clé, dans ce local, ils s’adonnaient à un remue-méninge intensif. Peu à peu, la vision de Henry Ford prenait forme. Des croquis, sur un grand tableau noir, étaient photographiés, afin de confirmer les brevets, les pièces étaient fabriquées et testées. Bientôt, une automobile avait été construite. Son empattement était de 100 pouces, sa voie de 56 ‘’. Sa suspension était composée de seulement deux ressorts fixés perpendiculairement, plutôt que quatre longitudinaux, afin d’enlever du poids au véhicule. Son moteur avait une cylindrée de 176,7 p.c., une puissance de 20 ch et un couple de 65 livres/pied. Ses carrosseries pouvaient être peintes en noir, rouge, vert, perle ou gris. Prix de vente, 850,00 $. Pour la première fois, une auto fiable et performante était offerte à prix raisonnable.
La première Ford T sortait de l’usine le 24 septembre 1908. Elle a été suivie par huit, en octobre. Elle fut présentée au public américain à la fin de décembre. Elle fut reçue avec beaucoup d’enthousiasme, car au milieu de l’année 1909, la compagnie Ford avisait ses concessionnaires de cesser de prendre des commandes, l’usine ne pouvant pas suffire à assembler des Ford T, assez rapidement pour répondre à la demande. Les ouvriers ne pouvant en fabriquer que seulement 18 257 en un an. Cette demande, toujours insatiable, força Henry Ford à innover. Il appliqua le principe de la chaine de montage à l’assemblage d’une automobile, à l’usine de Highland Park, en aout 1913. Après quelques mois de rodage, une Ford T sortait de l’usine au 30 secondes. Plus le volume de production augmentait, plus les prix de vente diminuaient, jusqu’à atteindre 260,00 $, pour une Roadster, en 1925. Cela résume l’histoire de la Ford T, qui aux yeux de Henry Ford, était la panacée que tous les amateurs de voiture devaient se procurer, pour se déplacer. Il oublia toutefois de réaliser que les gouts des acheteurs changeaient et qu’ils préféraient de plus en plus un véhicule plus raffiné. Chose que ne put jamais offrir la Ford T. La dernière sortit de l’usine au cours du mois de juin 1927. C’est la Ford T, plus que toute autre automobile, qui a contribué à motoriser le Monde. Elle était issue du génie de Henry Ford. Toutefois, ce dernier fut tellement obnubilé par son succès, qu’il refusa de voir que le monde changeait, et que les gens recherchaient de plus en plus une voiture plus confortable, avec une carrosserie plus moderne. Comme nous le disions au début de cet article, il aurait dû suivre les sondages d’opinion de plus près. Il aurait réalisé, plus tôt, que sa chère T avait perdu sa gloire d’antan. Notre vedette a été fabriquée à une époque plus joyeuse, soit en 1922. Cette année-là, les ventes de la Ford T dépassaient, pour la première fois, le cap du million, avec 1 173 745. Le sommet a été atteint en 1923, avec des ventes de 1 817 891, pour ensuite péricliter jusqu’à la fin. Elle appartient à M Yves Moquin, qui en a fait l’acquisition en 2007. Il l’a restaurée entièrement et depuis ce jour, il ne manque pas une occasion de prendre son volant.