Quand Buick fêta son centième anniversaire de fondation, en 2003, pour souligner ce jalon de son histoire, ses dirigeants se contentèrent de produire un véhicule concept, sous la forme d’un VUS. Ces derniers ne semblaient pas voir d’ironie, dans le fait de souligner l’anniversaire d’une marque d’automobile avec un camion. Depuis 2002, la marque Buick était représentée dans le secteur des VUS par le Rendez-Vous, lui-même construit sur la plateforme de la Pontiac Aztec, au dessin controversé, pour ne pas dire laid. Le Rendez-vous disparaissait des catalogues de vente, en 2011. Afin de donner un peu d’exotisme à leur véhicule concept, on lui avait donné un nom français, soit Centieme, sans accent. Ce VUS fut présenté au public avec très peu de fanfares. Chez Buick, on semblait dire : Excusez-nous du peu. Il est vrai que le contexte économique qui régnait chez GM, à cette époque, n’était pas étranger à cette austérité. La charte des ventes, chez GM, indiquait de plus en plus le Sud. Les traits diaphanes du spectre de la faillite se dessinaient lentement à l’horizon, pour finalement apparaitre, en juin 2009. On connait la suite. Lors des célébrations du cinquantième anniversaire, le contexte était tout autre. À l’époque, l’économie était florissante et en plus, les produits GM occupaient cinquante pour cent du marché nord-américain. Devant tant de succès, chez GM, on avait développé une philosophie qui était la suivante. Ce qui est bon pour GM est bon pour l’Amérique. Donc, GM ne pouvait pas faire d’erreurs. C’est ainsi que les tramways urbains, mus à l’électricité, non polluants, ont été remplacés par des autobus diésels polluants, au cours des années cinquante, pratiquement partout, en Amérique du Nord. Comme par hasard, ils étaient fabriqués par GM.

Ainsi, dans ce contexte délirant d’optimisme, il fut décidé à bien marquer le cinquantième de Buick, avec faste. Ivan Wiles, alors directeur général de la Division Buick, était pâmé d’admiration devant la Buick décapotable, 1951, du stylicien Ned Nickles. Ce dernier avait modifié la carrosserie de sa Buick en y ajoutant, entre autres, des lumières rouges dans les hublots fixés sur les ailes avant. Ces lumières étaient branchées sur les bougies. Elles s’allumaient donc au rythme de l’allumage des cylindres. Nickles fut donc chargé de concevoir la voiture destinée à devenir la réponse aux voitures sport européennes. Ce genre de demande équivaut à personnifier un colibri avec un corbeau... Cette démarche serait impensable, aujourd’hui. Construire une auto avec un prix de vente supérieur de 40 % à celui des modèles haut de gamme, comme la Roadmaster serait examinée à la loupe par une foule de comités, passant par le département des ventes, les relations publiques, le Contentieux de la compagnie, jusqu’aux fonctionnaires du ministère du Transport. Aujourd’hui, une compagnie ne met pas une automobile sur le marché avant d’être pratiquement sûr qu’elle se vendra en au moins 40 000 exemplaires, la première année et qu’elle amortira les couts d’outillage, en moins de trois ans. De plus, dire qu’un monstre de deux tonnes et demie avec un empattement de 121,5 pouces est une réponse aux voitures sport européennes, est un pieux mensonge qui ferait hurler le chien de garde qu’est l’Office de protection du consommateur. Bref, de nos jours, une auto n’est pas mise en marché simplement sous le prétexte que le Directeur général aime beaucoup son dessin.

La décision de la produire, ce qui est devenu la Skylark, avait été prise dès le début. En effet, le prototype est passé directement de l’échelle 3/8, aux bleus, puis au métal, sans qu’aucun modèle, pleine grandeur soit construit en argile. Il faut également dire qu’à Détroit, la mode était, à l’époque, d’avoir un produit phare. Packard avait sa Caribbean, Kaiser sa Dragon, Chevrolet sa Corvette, Oldsmobile sa Fiesta, Cadillac sa Eldorado. Buick aura donc sa Skylark. Son dessin était inspiré de celui de la voiture concept XP-300 1951, qui fut présentée au Motorama de la même année. Malgré ses lignes futuristes, empruntées à la XP-300, la Buick Skylark était produite pour être achetée par le grand public. Elle était motorisée par le tout nouveau V-8 d’une cylindrée de 322 p. c. d’une puissance de 188 ch (200 ch en 1954). Il était le premier moteur à être disposé en V, de l’histoire de Buick. Il continuera à motoriser des Buick jusqu’en 1970, soit pendant 17 ans. Il terminera son service avec une cylindrée de 425 p. c. Fin de la digression. Le capot était de type alligator, une autre première chez Buick. Ce concept, universel aujourd’hui, a été mis au point sur la Chrysler Airflow 1934, puis popularisé par Ford, en 1937. La Skylark avait un système électrique de 12 volts, un servofrein et offert en option, la servodirection et un climatiseur de marque Frigidaire. Afin de profiter de la nouvelle puissance du V-8, les ingénieurs avaient modifié une transmission Dynaflow, en lui ajoutant deux turbines, dans le convertisseur de couple, entre la pompe et le stator. Ces changements augmentaient de 10 % le couple du moteur, en plus de diminuer sa vitesse de rotation. Le 6 octobre 1952, Ivan Wiles annonce la présentation de la Skylark, en déclarant, sans rire, que l’intérêt du public, suscité par cette voiture, était tel qu’il avait décidé de la produire en nombre limité. À ce moment, il ne savait pas à quel point le nombre sera limité... La production débuta en janvier 1953 et les livraisons, au début du printemps, avec un prix de vente fixé à 5 000,00 $. US (6 846,00 $ CAN soit 60 530,46 $, en argent de 2013.
Malgré son dessin exotique, ses roues chromées et son exclusivité, la Buick Skylark ne vit jamais personne se bousculer aux portillons des concessionnaires Buick. L’année se termina avec un maigre 1 690 Skylark de vendues. Quelques changements esthétiques tels que les ouvertures des roues plus grandes et des feux arrière massifs et chromés furent apportés, en 1954. Rien à faire, les ventes chutèrent à seulement 836, malgré un prix de vente diminué à 4 483.00 $ US 6 158,00 $ CAN.
Chez Buick, ont était sûr que certains étaient prêts à payer un prix fort, pour une voiture particulière, avec un nom prestigieux. Sauf, ce qu’ils n’avaient pas compris, était que le nom pour lequel ils étaient prêts à sortir leur portefeuille n’était pas Buick, mais Cadillac.
Notre vedette fait partie de la première couvée. Elle appartient à M. Jean-Pierre Viau, qui en a fait l’acquisition dernièrement.