Aucun chef d’industrie de l’histoire de l’automobile ne peut être qualifié d’impérieux et même d’irréfrénable, autant que l’a été William Crapo Durant. Même après avoir perdu le contrôle de General Motors, pour la deuxième fois, à peine quelques mois plus tard, il travaillait à se bâtir un nouvel empire.
Il perdit le contrôle de la General Motors Corporation, pour la deuxième et dernière fois, le 30 novembre 1920. Il devait être certainement amer de perdre GM, qui était en fait sa création. Toutefois, il n’en laissa rien paraitre, déclarant laconiquement, alors qu’il était occupé à vider son bureau : « C’est une journée de déménagement. »
Et pourtant, Bill Durant était sans doute le plus grand visionnaire de l’industrie automobile. Quand l’automobile commença à se développer dans la région de Détroit, Michigan. Il la considéra comme une ennemie, ce qui était un réflexe normal, car il avait l’une des usines de voitures hippomobiles, la plus grosse au Monde. Puis, un de ses amis réussissait à le convaincre d’apprendre à conduire l’une de ces machines infernales. Ce fut le coup de foudre. En 1903, il achetait la compagnie Buick, qui existait à peine, pour en faire la marque qui, en 1907, arrivait après Ford, pour le nombre de voitures vendues. Il disait, à qui voulait l’entendre que bientôt qu’une seule compagnie vendrait plus de 100 000 véhicules par année. Tous le croyaient fou, car à l’époque l’industrie entière ne parvenait pas à vendre seulement la moitié de ce nombre. Mais, même en talonnant Ford, il n’était pas satisfait. Ce qu’il voulait, c’était de contrôler l’industrie entière.
Dans un premier temps, il tenta de convaincre Ford, Reo, Maxwell de se joindre à Buick pour former un conglomérat, sans succès.
Il décida alors de fonder General Motors, en 1908, réunissant Buick, Oldsmobile et Oakland, qui deviendra plus tard la marque Pontiac. Quelques mois plus tard, il prenait le contrôle de Cadillac. Cette transaction fut très onéreuse, à 5,5 millions de dollars, mais elle était si profitable qu’elle se remboursa en seulement 14 mois. Afin de vendre encore plus, il appliqua les paiements en plusieurs versements à l’achat d’une automobile. Il mettait sur le marché une glacière électrique, créant le nom qui deviendra le générique utilisé encore aujourd’hui, Frigidaire. En Bourse, il contrôlait plus de quatre-milliards de dollars d’investissement, dont plus d’un milliard, de son argent personnel.
Les fêtes qu’il donnait, à son domaine, à Deal, sur la côte du New Jersey, auraient été dignes de paraitre dans le film The Great Gatsby. Ses proches eurent l’impression qu’il était devenu fou, une fois de plus. Il divorça, d’avec sa femme Clara, après 23 ans de mariage, pour marier Catherine Lederer qui était du même âge et amie avec sa propre fille, soit 19 ans. Billy Durant en avait 47.
Le mot expansion faisait partie des gènes de William Durant. En 1910, il était évident qu’il avait été trop loin et que le bilan de GM s’acheminait vers un grave déficit. Une courte récession généra une brusque chute des ventes, plaçant Durant, devant un gros problème. Il eut beau prétendre que cette crise serait de courte durée, les banquiers qui ne sont pas reconnus comme étant du genre à aimer les émotions fortes, surtout avec leur argent, exigèrent la tête de Durant. Il était devenu chômeur.
D’un optimiste délirant, il était certain qu’une autre fortune l’attendait au coin de la rue. Il s’attela à la tâche et au bout d’une année, plusieurs projets étaient déjà en marche, dont le plus important, la Chevrolet Motor Company. Dès 1915, la marque Chevrolet, avec la 490, connaissait beaucoup de succès. Durant utilisa les actions en bourse, en offrant cinq actions de Chevrolet contre une de General Motors. Grâce à cette manoeuvre, il reprenait le contrôle de General Motors, en 1918.
Une fois en contrôle, son naturel revenait au galop. Il se lança dans une série d’acquisitions compulsives. Grâce à la gestion serrée de Charles Nash, qui occupait le poste de président de GM, depuis le départ de Durant, les coffres de la compagnie étaient bien garnis. Quand Durant se lança dans une vaste campagne d’acquisitions, il dépensait l’argent plus vite que la compagnie pouvait en amasser. Certaines étaient avantageuses, d’autres, telles que celle de la Samson Sieve-Grip Tractor Company. Ce fiasco engloutissait plus de 33 millions de dollars.
Comme il l’avait fait précédemment, l’expansionnisme de Durant vidait les coffres de la trésorerie que Charles Nash avait remplis grâce à une gestion serrée des marges de profits.
Voyant poindre l’inévitable faillite à l’horizon, un groupe de banquiers, associés avec la J. P. Morgan Bank, intervenait, en mettant Billy Durant à la porte, pour de bon. Ses pertes personnelles se chiffraient à plus de 90 millions soit près de 967 millions, en argent d’aujourd’hui.
Loin de se laisser abattre, quelques mois plus tard, il retombait sur ses pieds et fonda la Durant Motors, le 21 janvier 1921. Trop pressé par le temps, pour se construire une usine, il occupa une ancienne usine appartenant à Good Year Tire, à Long Island, New York. Un de ses fidèles compagnons, Alfred Sturt fut chargé de dessiner le prototype de la future Durant. La première Durant fut prête à être présentée au public, en aout 1921. En novembre, la compagnie annonçait que plus de 30 000 commandes avaient été passées, pour se procurer la nouvelle Durant.
Cette nouvelle merveille était en fait une voiture assemblée avec des pièces fournies par d’autres fournisseurs. Elle se comparait, par sa taille, à la Dodge. Elle était motorisée par un moteur Continental d’une puissance de 35 ch. Avec son prix de vente fixé à 890.00 $, soit 395,00 $ de moins que celui de la Dodge. La Durant fut très populaire. Rapidement, des usines furent ouvertes à Lansing, Michigan et Oakland, Californie.
Une Durant six cylindres fut mise sur le marché, l’année suivante. Produite dans une usine située à Muncie, Indiana, elle était une voiture relativement rapide, motorisée par un moteur de 70 ch. Malheureusement, avec un prix de vente fixé à 1 650,00 $ cette Durant, coutait autant qu’une Buick. Les ventes demeurèrent anémiques. Elle ne fut produite que sur une période de seulement deux ans. Une nouvelle voiture fut lancée, en février 1922. Elle portait le nom de Star. Elle était destinée à confronter la Ford Modèle T. Comme la Durant, elle était une voiture assemblée. Le moteur, d’une cylindrée de 130,4 p. c. provenait de Continental. Sa puissance était de 35 ch. Grâce à une carrosserie légère et un rapport de pont de 4,87:1, elle fournissait de bonnes prestations. Contrairement à la Ford, qui avait une transmission planétaire à deux rapports, celle de la Star était de type baladeur, avec trois rapports. De plus, elle avait un disque d’embrayage, un avantage sur la Chevrolet qui avait un cône en cuir pour jouer ce rôle. Quand elle fut présentée au public, le 9 mars 1922, à Washington D.C., une foule de 30 000 personnes se présenta pour la voir. Son prix de vente était fixé à 348,00 $. Ce prix était trop beau pour être vrai. Pour faire ses frais, Durant fut obligé de l’augmenter à 443,00 $, puis à 490,00 $, soit le même prix que la Chevrolet. Pendant ce temps, Henry Ford diminuait le prix de la Ford T Touring à 295,00 $ ou 380,00 $ avec un démarreur électrique.
En seulement 10 mois, les commandes, pour la Star, se chiffraient à 231 000 voitures. Beaucoup plus que les usines étaient en mesure de produire, en un an. Durant se lança à la recherche d’une usine. Il en avait une située à Elizabeth, New Jersey, dont la Willys Corporation devait se défaire, pour éviter la faillite. Malheureusement pour ceux qui désiraient s’en porter acquéreur, GM et Chrysler, Durant surenchéri leur offre et en devint le propriétaire. Dans cette usine, il décida d’y construire une auto de gamme intermédiaire, qu’il nomma Flint. Elle arriva sur le marché en 1923. Elle se mesurait à la Buick de GM. Au cours de la même période, il acheta la compagnie Locomobile, qui était en faillite. Comptant sur le halo de prestige que représentait ce nom, il mit sur le marché trois modèles, dont les prix de vente étaient inférieurs à celui de la Locomobile Modèle 48. Aucune de ces trois automobiles ne connut de succès.
Désirant occuper tous les segments du marché, comme il l’avait fait chez General Motors, Durant annonça l’arrivée de la Princeton, en 1923. Cette auto devait être une six cylindres, avec un prix de vente fixé à 2 485,00 $ soit le même que celui de la Packard Single Six. Il en rajoutait en annonçant une auto six cylindres, avec un prix de vente fixé à 1 075,00 $. Le nom choisi pour cette dernière était Eagle. En réalité, la Princeton demeura au stade de prototype, alors que la Eagle fut révisée, pour finalement être mise sur le marché sous le nom de Flint H-40 1925. Son prix de vente était le même que celui de la Buick Standard Six.
Le 27 mars 1923, la Durant Motors assemblait sa 100 000 unième automobile, pour atteindre 172 000, à la fin de l’année. Malgré ces chiffres de production, annoncés avec beaucoup de fanfares, les ventes n’avaient jamais atteint le niveau escompté par Billy Durant. Il avait financé l’expansion de sa compagnie, avec la vente d’action en bourse. Comme les profits n’avaient jamais été au rendez-vous, il lui avait été impossible de payer des dividendes. Rapidement, les actions, qui avaient une valeur maintenue artificiellement à 84,00 $ descendirent à 64,00 $, puis 47,00 $, puis à 11,50 $. En juillet 1932, elles valaient 0,12 cent chacune. La production cessa, en janvier 1932.
William C. Durant continua d’investir à gauche et à droite, jusqu’à devenir sans le sou, jusqu’à sa mort, survenue le 18 mars 1947.
Notre vedette, une Star 1923 Touring, a été fabriquée, à Oshawa, au cours de la meilleure année qu’a jamais connue la Durant Motors, en ce qui regarde le nombre de véhicules assemblés au cours de l’année. Elle appartient à M. Réal Meilleur, résidant en Ontario. Il la possède depuis 12 ans. Il en est son troisième propriétaire.