Se pâmer d’envie et de tendresse pour une automobile au point de lui écrire une chanson n’était pas un phénomène nouveau, quand les Beach Boys composèrent une mélodie vantant l’invincibilité d’une Ford 1932 Coupée, intitulée Little Deuce Coupe. Ils ont toutefois été les premiers, du moins à ma connaissance, à écrire une pièce vocale se focalisant spécifiquement sur un moteur, en 1962, dont le titre est 409. Très peu de moteurs se sont mérité l’honneur d’être immortalisés et de passer dans la mémoire collective, sauf peut-être le V-8 Ford 1932-1954. (1955 au Canada) Avec cette goualante, le moteur V-8 409 de Chevrolet venait d’entrée dans la légende, au début des années soixante. Jusqu’à ce temps, une voiture pleine grandeur qui se voulait être sportive était un oxymoron, soit une figure de style consistant à réunir deux mots contradictoires. Avec sa version Super Sport de sa nouvelle carrosserie 1961, Chevrolet se préparait à changer cette perception.
Ramener le dessin des Chevrolet Impala/Bel Air/Biscayne à un niveau moins excentrique a débuté avec les modèles 1960, alors que les ailes de chauvesouris de la 59 ont été réduites à pratiquement rien, pour disparaitre complètement, en 1961. Sur la même plateforme, les styliciens dessinèrent trois toits aux formes différentes. La Coupée Sport, quant à elle, avait un toit ayant les pieds A légèrement profilés et de grandes fenêtres. Sa carrosserie conserva toutefois un petit côté clinquant avec ses ourlets sur les côtés, ses baguettes de flanc fuselées, ses dessus d’ailes en saillie et son couvercle de coffre à la surface sculpté. Le dessin de cette Chevrolet est toutefois plus élégant que celui de ses prédécesseurs, prêt à ouvrir d’autres horizons.
Les brochures de ventes résumèrent la description de la Super Sport comme étant une version hautement personnalisée de n’importe lequel modèle d’Impala. Avec un prix fixé à 53,80 $, cette option comprenait une finition plus luxueuse, des enjoliveurs de roues imitant les roues des bolides de course, la servodirection, le servofrein, des ressorts et des amortisseurs robustes, des bandes de freins métalliques, un compte-tour chiffré à 7000 tr/min, monté sur la colonne de direction et des pneus 8,00 X 14” à flancs blancs, a bandes étroites. À l’intérieur, le passager avait droit à une poignée de maintien, comme celle retrouvée sur la Corvette. Par contre, la banquette avant était de type ordinaire. On n’avait pas encore découvert l’attrait des sièges baquets.
Les premières Super Sport étaient motorisées par le V-8 348 qui offrait un choix de puissances de 305, 340 ou 350 ch, ainsi qu’une boite de vitesses manuelle à quatre rapports. Cependant, avec la version de 305 ch la transmission automatique Powerglide était offerte. Sur les autres versions de gamme inférieure des Impala, le moteur le plus puissant offert était la version de 280 ch. La clientèle visée était celle qui aimait les voitures sport, ou du moins celles qui tentaient de projeter cette image et, évidemment, les bonnes prestations, alliées à l’élégance d’une grosse voiture. Ce n’était que le début de ce qui deviendra le phénomène SS. Les grosses cylindrées étant en demande, un nouveau moteur plus puissant fut mis au point, soit le 409. La meilleure place pour offrir ce moteur était évidemment sous le capot d’une automobile portant le nom de Super Sport.
Pour obtenir cette cylindrée, les ingénieurs ont modifié la course et l’alésage du V-8 348. Sa puissance fut établie à 60 ch, à 5 800 tr/min, alors que son couple était de 409 lb/pi. Il avait le physique de l’emploi, peint en rouge, avec ses couvercles de culasses couleur argent, surmontés par le filtre à air et ses deux entrées d’air. Les premières Chevrolet Super Sport, motorisées par le 409, arrivèrent chez les concessionnaires au milieu de l’année 1961. La plupart des 453 exemplaires construits au cours de l’année 1961 ont été des modèles Coupé Sport, avec seulement quelques décapotables, bien qu’en théorie, cette option était offerte sur tous les modèles de Chevrolet Impala. De ce nombre, seulement 142 ont opté pour le V-8 409.
Les chroniqueurs de la revue Motor Trend testèrent une Chevrolet SS motorisée par le 409. Ces derniers furent agréablement surpris par ses prestations sur la route, avançant que la voiture était pratiquement plus rapide que tout ce qui roulait sur les routes. Ils réussirent des accélérations de 0 à 60 m/h en 7 secondes, avec un différentiel 4,56:1. Une Impala motorisée par un V-8 348 avait besoin de plus de 10 secondes pour obtenir la même vitesse. Encore plus de versions du 409 s’ajoutèrent à la liste des options, en 1962. Curieusement, la Super Sport est devenue une simple option de garniture, offerte à 156, $ sur les Impala, offerte avec n’importe lequel moteur, même le six cylindres de 135 ch. Toutefois, cette option a été réservée seulement aux Coupée Sport et aux décapotables. Le dessin des modèles 1962 devint plus net et plus angulaire, avec un repli parcourant ses flancs. Les sièges baquets firent dorénavant partie des équipements compris avec l’option SS. Ces sièges furent décorés de cadres en aluminium. De l’aluminium anodisé se retrouva également sur les baguettes de flanc. Celles des Impala, sans l’option SS, étaient peintes.
L’ubiquiste moteur V-8 283 de Chevrolet a vu sa course et son alésage modifiés, pour obtenir une cylindrée de 327 p.c.. Il remplaça le V-8 348. Le coq de la bassecour était indubitablement le 409, qui, quand il respirait grâce à deux carburateurs quatre corps, obtenait le chiffre magique d’un cheval-vapeur au pouce cube, soit 409 ch. Les tests, conduits par Motor Trend, indiquaient des accélérations de 0 à 60 en 6,3 secondes, alors que le quart de mille se faisait en 14,9 secondes. La version de 380 ch ajouta une seconde au temps nécessaire pour atteindre 60 milles. Les ventes de la SS ont pratiquement doublées celles de sa rivale, la Ford Galaxie 500 XL. Les carrosseries de la Impala 1963 étaient un dessin encore plus angulaire. Le V-8 427 fut ajouté au catalogue des options. Ce dernier était destiné surtout aux pilotes professionnels oeuvrant sur les pistes d’accélération. Les clients qui voulaient enrichir encore plus les pétrolières pouvaient opter pour la version de 425 ch du 409. Une nouvelle option Police du même 409 avait une puissance de 340 ch. Toutes les SS avaient le levier de changement de rapports fixé au plancher. Comme d’habitude, l’option SS à 161, $ était livrable avec tous les moteurs, en partant du 6 cylindres de 230 p.c. de cylindrée. À l’intérieur, la poignée de maintien était toujours absente.
Les Chevrolet SS 1964 étaient décrites comme étant des modèles distincts. Les nouveaux propriétaires de SS pouvaient avoir le plaisir d’entendre les derniers succès des Beatles, qui étaient en pleine ascension, en 1964, grâce à leur nouvelle radio AM/FM, tout en tenant dans leurs mains le nouveau volant à seulement deux rayons au grain de noyer. Les brochures de ventes affirmaient que quelque soit la version choisie des trois 409 offerts, elle était particulièrement coquine, lors des dépassements sur les routes. Il semble que les aficionados de la marque Chevrolet aient été d’accord avec ce sous-entendu, car le phénomène SS a continué de prendre de la vigueur pendant encore de nombreuses années.