Les constructeurs automobiles ont, de tout temps, utilisé des lettres pour identifier leurs différents modèles. De tout l’alphabet, la lettre L a été sans doute la plus utilisée. Elle pouvait signifier à peu près n’importe quoi, en passant par luxe, long, low, etc. Mais, en 1965, la lettre L précédée du chiffre 300, ne pouvait signifier qu’une chose, soit la onzième génération de la Chrysler haute performance, à diffusion limitée. Malheureusement pour les amateurs, elle a été la dernière de la liste des Chrysler lettrée et la moins distinctive du lot. Chrysler a recommencé à égrener l’alphabet avec la 300M, en 1998, mais cette 300 n’avait pas le panache distinctif de ses ancêtres.
Pour trouver la raison de l’abandon de la série lettrée, il nous faut nous rendre dans les salles d’exposition des concessionnaires de l’époque. Depuis 1962, Chrysler offrait une 300 non lettrée, offerte en modèles; décapotable, coupé à toit rigide et berline à toit rigide. Elle était capable de fournir style et performance, à des centaines de dollars de moins. Au début, ce plan avait été concocté pour mousser les ventes. En fait, il avait connu trop de succès, dès la première année, les ventes de cette 300 avaient dépassé celles de la Saratoga de plus de 6 000 exemplaires. En 1964, les ventes étaient parties de 23 000, pour grimper à 31 000, comparativement à 3 647 pour la 300K. Avec aussi peu de raisons incitant l’amateur à préférer s’acheter une Chrysler lettrée, il était évident que cette dernière était condamnée. Il est vrai que la compagnie Chrysler, sans doute par masochisme, a toujours été une championne, pour mettre sur le marché des produits s’attaquant directement à ses autres produits. Au moins, ses gestionnaires savaient d’où venait la concurrence...
Mille-neuf-cent-soixante-cinq était un bon moment, pour larguer la Chrysler lettrée, car la compagnie était à effectuer un changement de cap majeur. À la suite de l’erreur fatale d’avoir réduit les dimensions des Dodge et Plymouth, en 1962, une nouvelle plateforme, la C, fut mise au point, afin de replacer Dodge et Plymouth dans le même créneau que Chevrolet et Ford. Les carrosseries dessinées par Elwood Engel, avaient les mêmes lignes angulaires que la Lincolnesque Imperial 1964. Engel, avant d’arriver chez Chrysler, avait participé au dessin de la Lincoln 1961, chez Ford. L’empattement avait été allongé de deux pouces, pour atteindre 124’’, alors que la longueur de la carrosserie avait été étirée, surtout à l’arrière, jusqu’à 218,2 pouces. La masse de l’auto augmenta de 200 livres, en moyenne, par rapport à celle des modèles 1963-64.
L’inclusion, dans le catalogue de vente de la Chrysler lettrée, en modèle décapotable et à toit rigide était plutôt surprenant, d’autant plus qu’il fallait y regarder à deux fois, avant de la distinguer de la 300 non lettrée. Les seuls traits caractéristiques permettant de la reconnaitre, étaient ses emblèmes ronds, situées un à l’avant, l’autre à l’arrière, puis, heureusement, l’absence des quatre grosses baguettes chromées, placées sur le bas des ailes avant, deux de chaque côté, de la 300 non lettrée et finalement, son intérieur, aménagé pour seulement quatre passagers, avec sa console et ses deux sièges baquets arrière, remplaçant la banquette.

Naturellement, la L était motorisée selon la tradition des Chrysler lettrées. Pour 1965, c’était encore le V-8 413 p.c. qui était en devoir, avec les mêmes 360 ch, que sur les J 1963 et les K 1964. Toutefois, l’option des 390 ch, avec ses deux carburateurs à quatre corps, avait été rayée de la liste des options. Par contre, le moteur de la 300L apparaissait sur la liste des options offertes sur les autres Chrysler, même sur la New Yorker. La transmission TorqueFlite était fournie, en équipement de base. Cependant, elle était contrôlée par un levier. Les boutons poussoirs avaient été abandonnés. Une boite manuelle à quatre rapports était également offerte, en option, mais sans frais supplémentaires. Très peu, ou probablement aucune 300L n’a été commandée avec une telle transmission.
La 300L était construite avec une carrosserie monocoque, comme les autres Chrysler assemblées à l’usine de Highland Park, depuis 1960. Toutefois, cette année-là, le cadre avant était vissé, plutôt que soudé à la structure principale. Cette façon de faire, offrait une meilleure isolation, éliminant ainsi les sources de bruits et de vibrations. La suspension à barres de torsion était toujours utilisée, ce qui lui donnait une très bonne tenue de route. La suspension arrière était à ressorts semi-elliptiques, alors que le servofrein utilisait quatre gros tambours. Le nouveau dessin de la Chrysler affichait une ceinture de caisse plus basse, une ligne de toit plus haute, ce qui donnait de plus grandes fenêtres, faisant paraitre l’intérieur encore plus spacieux que ce qu’il était, en réalité. La planche de bord avait été dessinée à nouveau, avec un style plus simple. Le centre était occupé par un tiroir fourretout.

Comme c’était à prévoir, la 300L n’offrait pas les performances époustouflantes de ses prédécesseurs. Ses accélérations de 0 à 60 m/h se situaient à 8,8 secondes, alors qu’elle parcourait le quart de mille en 17 secondes à 82 m/h. Une 300J, 1963, avec le moteur de 390 ch, faisait les mêmes parcours en 7,5 secondes et 15,4 secondes à 94 m/h respectivement. Malgré tout, la 300L était raisonnablement rapide, avait une bonne tenue de route et avait sans doute la meilleure douceur de roulement de toutes les 300 lettrées. Mais, encore une fois, la Chrysler 300 non lettrée pouvait fournir des prestations aussi bonnes, avec un prix de vente inférieure de 600, $ à 700, $. Cela peut nous faire supposer que la 300L a été mise sur le marché, en 1965, comme suite à une décision de dernières minutes, motivée sans doute par les chiffres de vente de la 300K qui avaient subitement augmenté. Sans doute voulait-on donner une dernière chance à la série de la 300 lettrée.
Les ventes de la 300L ont été en fait les deuxièmes meilleures de l’histoire des Chrysler lettrées, avec un chiffre de 2 845, contre 3 647 pour la 300K. Pendant ce temps, les ventes des 300 non lettrées étaient pratiquement dix fois supérieures. Malheureusement pour les 300 lettrées, le marché des grosses berlines performantes était devenu périphérique, la place était occupée de plus en plus par des bolides avec une carrosserie de grosseur intermédiaire qui seront connues sous le nom de musclées.
Par conséquent, la série mythique des Chrysler lettrées passait à l’Histoire, après 1965, sans faire de bruit. C’est dommage. Cette voiture surnommée la belle brute, avec son passé si glorieux, méritait une fin plus honorable.