La Chrysler Corporation, qui émergea à la fin des années trente, après avoir connu la crise économique, qui avait débuté en 1929 et survécu au désastre de la Airflow de 1934, était loin de produire des automobiles au dessin révolutionnaire. Malgré ces aléas, à partir de 1935, les produits Chrysler, qui étaient généralement solides et bien construits, avaient amorcé un long retour vers la popularité. Malgré une légère baisse lors de la crise économique de 1937-38, la progression avait repris, au cours des années 1940-41, pour atteindre des records.
Puis arriva l’attaque perfide des Japonais sur Pearl Harbor, le 6 décembre 1941. La production automobile cessa au début de l’année 1942, pour être consacrée à l’armement; canons munitions, moteurs d’avion, chars d’assaut Sherman, etc.
Quand, deux bombes atomiques plus tard, les Japonais eurent enfin compris qu’ils étaient battus, la production d’automobiles avait pu reprendre.
La production ayant été interrompue pendant près de trois ans, le parc automobile avait diminué en nombre, par attrition. Bien conscients que le marché d’après-guerre était un marché de vendeur, les gestionnaires des compagnies d’automobiles étaient bien décidés à profiter de cette situation afin de maximiser les profits. Ainsi, ils ont dépoussiéré les moules de 1942, encore pratiquement neufs, y apportèrent quelques changements d’ordre esthétiques et presto, voilà de tout nouveaux modèles 1946, prêts à être livrés aux acheteurs, qui eux, étaient pratiquement prêts à tuer pour se les procurer.
Les mêmes séries avaient été reconduites; Royal, Windsor, Saratoga, New Yorker. Toutefois, une nouvelle avait été ajoutée, soit la Town & Country, offerte en modèles; berline quatre portières 6 cylindres, berline quatre portières 8 cylindres et décapotable 8 cylindres. Comme la plupart des fabricants d’automobiles, c’était d’ailleurs avec cette série que les ingénieurs avaient fait plusieurs expériences, en construisant sept prototypes, dont la particularité était d’avoir un toit rigide, sans pieds B. Mais, malheureusement, cette initiative n’a jamais connue de suite. C’est ainsi que GM en mettant sur le marché ce même genre de carrosserie, en 1949, récoltait tous les lauriers de cette « découverte » qui en fait avait été conçue, en 1946, chez Chrysler, où malheureusement on n’avait pas subodoré le potentiel de la popularité que représentait une carrosserie à toit rigide.
Chrysler avait utilisé les matrices 1942 jusqu’en 1948, apportant quelques changements mineurs à ses modèles. Il a fallu attendre jusqu’en 1949 pour voir quelque chose de vraiment nouveau chez les concessionnaires Chrysler.
L’arrivée des modèles 1949 avait été entourée d’une foule de problèmes. Il leur a donc fallu continuer à fabriquer des 1948, tout en leur donnant le nom de modèles 1949 Première série, pendant que les ouvriers trimaient dur, pour mettre en place les nouvelles chaines de montage, nécessaires à l’assemblage des vrais modèles 1949, qui eux portaient le nom de Deuxième série. Ces modèles 1949 avaient été entièrement re dessinés. Ils étaient complètement différents des modèles précédents. Toutefois, on ne pouvait leur attribuer le fait d’avoir autant de style que ses concurrentes, GM et Ford. Le dessin des produits Chrysler était angulaire, en forme de boite, haut et disgracieux, en comparaison des silhouettes allongées des produits GM ou arrondies des Ford et Mercury, ou encore futuriste des Studebaker.
Les responsables du studio de stylistique, chez Chrysler, étaient les ingénieurs Oliver Clark et Fred M. Zeder. Les deux étaient sous l’égide de Kaufman Thuma Keller, président de la Chrysler Corporation. Il était donc celui qui avait le dernier mot. Or, pour lui, son vadémécum était le suivant. Le toit d’une automobile devait être assez haut pour permettre à un gentil homme et à sa fiancée de porter leur chapeau à l’avant comme à l’arrière de l’habitacle. À ceux qui lui faisaient remarquer que les produits Chrysler avaient une silhouette haute et trapue, il leur répondait en utilisant un langage vernaculaire : ‘’ nous fabriquons des autos pour nous assoir dedans, pas pour pisser par-dessus “. Pas besoin d’un dictionnaire pour comprendre ça... Le dessin des produits Chrysler 1949 n’était donc pas révolutionnaire, il était plutôt évolutionnaire, mais avec un peu de retard sur les autres.
Ainsi, au début des années cinquante les Chrysler étaient grosses, bien construites avec une bonne ingénierie, grâce à son nouveau moteur V-8 Hemi et sa transmission automatique Powerflite. Tout conservateur qu’il fut, K. T. Keller eut l’audace, en 1949, d’embaucher le stylicien Virgil Exner, qui arrivait de chez Studebaker, où il avait participé au dessin des Studebaker Starlight 1947 sous la férule de Raymond Loewy. Ce dernier avait la réputation de dessiner des automobiles aux lignes futuristes. Il débuta, chez Chrysler, en concevant des voitures concepts comme la K-310, suivie de l’Imperial Phaeton. Comme il fallait s’y attendre, Exner n’avait pas été reçu à bras ouverts, chez Chrysler. Aux yeux des autres styliciens, il était regardé plutôt comme un usurpateur que comme un collaborateur. Au début, il s’était trouvé un petit studio où il tentait de trouver l’inspiration pour concocter la formule magique, permettant de trouver ce que devait être la direction que devait prendre Chrysler, en ce qui regardait le dessin de ses carrosseries.
Avec le remplacement de K. T. Keller par Lester Tex Colbert, à la présidence de la Chrysler Corporation, en 1950, ce fut le début d’un temps nouveau au studio de dessin de Chrysler. .
Après la Deuxième Guerre, les besoins en automobiles étaient tellement criants que le refus de K. T. Keller de suivre la tendance générale vers l’aérodynamique n’avait pas trop nui aux ventes des marques fabriquées par Chrysler. Toutefois, quand le marché de vendeur, alors que tout ce qui avait un moteur et quatre roues trouvait preneur, s’était muté par celui d’acheteur, au début des années cinquante, les perspectives devinrent bien différentes. Soudain, les toits trop hauts étaient devenus trop ringards, car finalement pratiquement plus personne ne portait de chapeau. Pour réussir à vendre leurs automobiles, les concessionnaires des marques Plymouth, Dodge, DeSoto et Chrysler, étaient obligés d’accorder des rabais, et ce, à peine deux mois après l’arrivée des nouveaux modèles, dans leurs salles d’exposition. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Chrysler était pris au milieu d’une guerre de prix entre Ford et Chevrolet, qui débuta au cours de cette période.
Virgil Exner, qui entre temps, avait été nommé au poste de directeur du studio de stylistique s’était vu confier la mission de trouver une solution et rapidement. En s’inspirant de ses voitures concepts K-310 et Imperial Phaeton, Virgil Exner se mit au travail et débuta la conception des produits Chrysler pour l’année 1955, projet qui a été connu sous le nom de ‘’ 100 Million Dollar Look ‘‘.
Quand le fruit de la cogitation de Exner arriva sur le marché, ce fut comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, tellement le dessin des carrosseries était différent de celui des modèles des années antérieures. Les produits Chrysler avaient des silhouettes plus longues, plus larges et surtout, plus basses. Exner se voyait pratiquement déifier par tout le monde.
En 1955, le nombre de Séries se limitait à seulement deux, soit Windsor et New Yorker. Le nom Saratoga avait été abandonné, en 1953. Le nom New Yorker avait été utilisé sur une Chrysler depuis l’année 1939 et jusqu’en 1996. Cette appellation a toujours désigné un modèle haut de gamme. Mais avant d’être apposé sur une Chrysler il avait été utilisé pour identifier une sous série de l’Imperial 1938, avec l’ajout du mot Special. Cette New Yorker était motorisée par le huit cylindres en ligne de 323,5 p.c. de cylindrée.
Quand arriva la troisième génération de New Yorker, en 1955, elle portait le nom de New Yorker DeLuxe et était motorisée par le V-8 Hemi de 331,1 p.c. de cylindrée, dont la puissance était établie à 250 ch..
Ironiquement, Chrysler qui avait inventé le concept du toit rigide, en 1946, avait attendu jusqu’en 1955 pour l’utiliser sur ses voitures. La vedette du présent article, qui se veut de gamme supérieure, utilise ce genre de toit. Elle partage la même carrosserie que la Newport. Toutefois, le découpage de ses couleurs deux tons est différent. Elle a été restaurée par son propriétaire, M. Jean-Louis Napert. Cette voiture Chrysler New Yorker St-Regis est très rare, car elle n’a été fabriquée qu’en seulement 5 777 exemplaires. Combien il en circule encore sur les routes, sûrement un nombre très restreint.