La marque Dodge a toujours connu beaucoup de succès au Canada. Toutefois, comme les Dodge canadiennes étaient en fait des Plymouth déguisées en Dodge, nous traverserons la frontière pour voir ce qui se produisait, chez l’Oncle Sam, au début des années soixante.
La crise économique qui avait dévasté l’Amérique du Nord, en 1958, a été tellement forte et subite qu’elle avait ébranlé le monde de l’automobile. Les pires dégâts étaient survenus dans la gamme intermédiaire. Une marque populaire comme Oldsmobile voyait ses ventes diminuer de presque 25 % par rapport à celles de 1957. L’une des plus touchées a été certainement la DeSoto avec une hémorragie de 60 %. Elle ne s’en remettra jamais, disparaissant en 1961.
Dodge, comme les autres marques, avait également souffert. Mais la vie continua chez Chrysler. Le stylicien Virgil Exner et son équipe étaient donc occupés à mettre la touche finale aux modèles de l’année 1962. Puis, soudain coup de tonnerre dans un ciel bleu. Un membre de la haute direction arriva, paniqué, dans les studios de dessin. Il avait surpris une conversation entre deux dirigeants de Chevrolet qui discutaient des mensurations de la future Chevrolet, qui devait avoir un empattement de 116 pouces. Alerte rouge, tout le monde en formation de combat! Les plans des Dodge et Plymouth 1962 furent refaits en catastrophe. Ce que le gestionnaire paniqué ne savait pas était que la discussion portait sur la future Chevelle que Chevrolet voulait mettre sur le marché afin de contrer la Fairlane de Ford, qui elle, devait être mise sur le marché en 1962.
C’est ainsi que les concessionnaires Dodge se sont retrouvés avec des Dodge de petit gabarit et que la Chrysler Corporation, après la disparition de la DeSoto, n’avait plus que la Chrysler Newport, pour occuper le créneau encore important de la gamme intermédiaire. Dès la réception des nouvelles Dodge, les concessionnaires réalisaient que leur fidèle clientèle était tétanisée devant le dessin torturé des carrosseries. Dès qu’ils retrouvaient la parole, c’était pour dire non, pour ensuite se sauver en courant, les tromper avec les concessionnaires d’autres marques d’auto. Les concessionnaires Dodge, au désespoir, demandèrent à Chrysler de trouver une solution et rapidement.
Les secours arrivèrent en mi-saison, sous la forme d’une Dodge au gabarit plus imposant, portant le nom de Custom 880. Pris de court, le stylicien Exner, faisant flèche de tous bois, utilisa une carrosserie de Chrysler Newport de 122 pouces d’empattement. En ce qui regarde le devant, il fouilla dans les vieux croquis et trouva un projet qui avait été proposé, pour produire une DeSoto 1962. Bien qu’abandonné, ce projet fut donc dépoussiéré et utilisé pour compléter l’ensemble. Ce n’était que justice qu’une partie de DeSoto ait été utilisée, car en fait, la Custom 880 prenait la place autrefois occupée par la DeSoto, en occupant le même créneau, au même prix, dans la même gamme de modèles, mais avec un devant plus joli. C’est ainsi que la Custom fut mise aussi rapidement sur le marché, pour rouler au secours des concessionnaires Dodge, qui pouvaient enfin mieux respirer, eux et leur directeur de banque.
Ce que Chrysler avait visiblement fait, était d’avoir abandonné une marque ayant perdu son lustre (DeSoto) pour la remplacer par une marque plus populaire (Dodge) sans vraiment changer le produit. Le plan avait réussi aussi bien que l’assemblage hybride de la voiture. Bien que la Chrysler Newport ait connu des ventes excédant les 83 000 unités, la Custom 880 avait généré un total de 17 705, et ce, en seulement six mois. Un apport qui avait sans doute sauvé quelques concessionnaires Dodge de la faillite.
Mis à part le lancement tardif, qui avait été fait avec beaucoup de fanfares, ce qui a fait le succès de la Custom 880 a été qu’elle avait été présentée comme une grosse voiture, soit le type de véhicule que les Américains sont encore capables d’être prêts à tuer, pour en avoir, même aujourd’hui. Gros était et est encore le mot clé en Amérique du Nord. Grosse voiture. Gros moteur. Grosse puissance. Enfin, vous connaissez la chanson.
La grosse suspension était évidemment la suspension à barres de torsion unique à Chrysler, qui donnait une tenue de route exceptionnelle. Sa motorisation était empruntée au groupe déjà existant, chez Chrysler, soit le V-8 de 361 p.c. de cylindrée, un moteur assez performant, mais relativement économique, pour l’époque, quand il était alimenté par un carburateur à seulement deux corps. Par ailleurs, aucun accessoire haute performance n’était offert en option, sans doute afin de maintenir les prix de vente les plus bas possible.
Un seul degré de finition était offert sur les berlines quatre portières, les coupées et les berlines à toit rigide, les décapotables et les familiales. La transmission manuelle à trois rapports faisait partie de l’équipement de base. Cependant, la majorité des acheteurs avaient opté pour la boite automatique TorqueFlite. La servodirection était également très demandée. Elle permettait de réduire la butée du volant de 5,5 à 3,5. Les freins étaient à tambour, la carrosserie recevait un traitement antirouille appliqué en sept couches, alors que le châssis pouvait n’être lubrifié qu’à tous les 32 000 milles. Les prix de vente étaient fixés à seulement à peine quelques dollars de moins que ceux de la Chrysler Newport. Les prestations étaient naturellement très voisines de celles de la Chrysler, dans la bonne moyenne. Le niveau de la qualité de fabrication était toutefois inférieur à celle retrouvée sur les automobiles produites par Ford et GM. Les produits Chrysler avaient également, à cette époque, la réputation méritée de rouiller rapidement.
Néanmoins, la Custom 880 était parvenue à se tailler une place sur le marché et mérita de revenir l’année suivante, en 1963. Elle avait subi quelques changements esthétiques mineurs et une majoration de ses prix de vente. Ces changements étaient des feux arrière ronds et une grille de calandre droite, composée de fines lames de métal, disposées à la verticale. La Custom 880 continua d’utiliser la même plateforme, alors que la Chrysler subissait des transformations majeures à sa carrosserie. Les modèles ont été regroupés autour de trois niveaux de finitions pour la 880 et de cinq pour la Custom 880. Mais, malgré une année complète, les ventes n’avaient augmenté que d’un peu moins de 11 000, soit très loin derrière la Chrysler Newport. L’arrivée, dans les salles d’exposition des concessionnaires, d’une Dodge 1963 plus longue et plus grosse, n’était sans doute pas étrangère à ce peu de succès de la 880.
Les ventes reprenaient du poil de la bête, avec la nouvelle mouture 1964 de la 880. Elles atteignirent presque 32 000 unités. Les changements esthétiques étaient de nouveaux feux arrière et une nouvelle calandre concave. Le choix des modèles demeura le même. Les prix de vente furent augmentés en moyenne de 13,00 $. La liste des options incluait dorénavant une transmission manuelle à trois rapports et un volant ajustable. Les chroniqueurs de Motor Trend avaient testé une Custom décapotable, considérée comme haut de gamme. Une inspection approfondie de la voiture ne leur avait pas permis de trouver un défaut de fabrication causé par un manque d’attention des ouvriers, sur la chaine de montage.
Avec l’arrivée de l’année 1965, une toute nouvelle Dodge faisait son entrée triomphale sur le marché, avec la 880, dont le nom sera retiré quelque temps plus tard. Aujourd’hui, les Custom 880 1962 — 64 sont pratiquement oubliées, surtout dans le pluss meilleur pays, sauf par les plus ardents amateurs de la marque Dodge. Cette voiture assemblée en catastrophe n’est peut-être pas la voiture de la décennie, mais il n’en demeure pas moins qu’elle avait tiré la marque Dodge d’un mauvais pas. Ne serait-ce que pour ça, elle devrait rester dans notre mémoire.