Henry Ford, qui fonda sa compagnie éponyme, en 1903, connaissait depuis la mise en marché de sa célèbre Ford T, en octobre 1908, un succès sans précédent, dans l’histoire de l’automobile.
En plus du défi énorme de démarrer sa compagnie, il dut se présenter devant les tribunaux, alors qu’il lui fallut se défendre, face à des poursuites judiciaires de la part de la ALAM, acronyme pour Association of Licensed Automobile Manufacturers. Cet organisme s’était donné comme mission de faire respecter le brevet Selden. Ce brevet, propriété de George B. Selden, donnait les droits exclusifs à son propriétaire sur tout "carrosse de route" motorisé, fabriqué, vendu, utilisé aux États-Unis, pour une période de 17 ans, se terminant en 1912. Dans un premier temps, Henry Ford perdit son procès, mais il interjeta l’appel et gagna sa cause, le 10 janvier 1911. Comme ce procès avait été hautement médiatisé, Ford devint un héros national. Pour le peuple, il était devenu le chevalier blanc qui s’attaquait au dragon qui représentait les grands trusts financiers très puissants, qui exerçaient, et exercent encore aujourd’hui, une influence prépondérante dans plusieurs secteurs économiques.
Avec une telle réputation, lui et sa compagnie étaient devenus les coqueluches du bon peuple. Les ventes de la Ford T étaient tellement élevées, que Ford contrôlait de 70 à 75 % du marché. C’est cette popularité qui l’amena à inventer la chaine de montage, afin de pouvoir répondre à la demande.
Une fois la production bien rodée, les Ford T sortirent des usines par centaines de milliers. À partir de 1922, jusqu’à 1926, la production avait toujours dépassé le million, atteignant un pic de 1 817 891, en 1923. Toutefois, à partir de cette date, elles ont entrepris une longue descente qui atteignait 1 368 383, en 1926. Dès le début de cette érosion de son marché, Edsel Ford, son fils, qui occupait le poste de président de la Ford Motor Company, du moins sur papier, ainsi que quelques gestionnaires haut placés, lui suggérèrent d’apporter quelques changements évolutifs, à la Ford T, afin qu’elle demeure compétitive, par rapport à ses rivales. Il refusa obstinément de les écouter. À ses yeux, ils n’étaient que des cassandres. Non, mais. N’était-il pas celui qui avait mis l’Amérique sur roues et la Ford T n’était-elle pas l’auto qui l’avait fait? Puis, après avoir mis quelques défaitistes à la porte et menacé Edsel de déportation vers la Californie, les chiffres de vente lui avaient finalement décillé les yeux. Au début de l’année 1927, il se laissa aller à quelques confidences, devant des journalistes qui le rencontraient régulièrement, pour leur dire que oui, il avait changé d’avis et que peut-être, dans un avenir sans doute assez proche, il penserait à apporter quelques modifications à sa bienaimée Ford T.
Adorant créer des attentes, le 25 mai 1927, il déclarait à la presse qu’une nouvelle Ford remplacera la Ford T, dans un futur pas si lointain. Le lendemain matin, il sortait de l’usine Rouge River, accompagné de Edsel Ford qui était au volant de la quinze-millionième Ford T. Quelques jours plus tard, il ordonna la fermeture des usines Ford, aux États-Unis, afin de les préparer à la fabrication de la nouvelle Ford. Aujourd’hui, un tel changement prend entre six et huit semaines, pour être réalisé. Mais dans le cas de la Ford T à la Ford A, il leur en a fallu douze pour le compléter. Non seulement la conception de la nouvelle Ford n’était pas terminée, mais les machines-outils pour la construire n’étaient pas encore fabriquées. Pendant ce temps, des milliers d’ouvriers se retrouvaient au chômage, alors que les concessionnaires de la marque se retrouvaient sans avoir rien à vendre. Comme un malheur n’arrive jamais seul, chez Chevrolet, on en profitait pour fabriquer et vendre des voitures et prendre la première place au palmarès des ventes.
Remplacer la Ford T par un autre véhicule présentait une entreprise intimidante. Mais Henry Ford s’attaqua au défi avec confiance. Pour être sûr de sa réussite, il assigna ses meilleurs éléments à la tâche. À Charles Sorensen, il confia la tâche de s’assurer que les usines et les fournisseurs soient prêts à entrer en action dès que la nouvelle Ford sera prête à être fabriquée. Chaque chose et chaque individu devaient être en place au moment crucial du lancement de la nouvelle automobile, car un retard quelconque pouvait avoir un effet pervers à sa présentation au public qui piaffait d’impatience.
Eugene Farkas l’un des meilleurs ingénieurs chez Ford avait comme mission de superviser la conception du véhicule. À son fils Edsel, il donna carte blanche en ce qui regardait le dessin de la carrosserie. À cette époque, les studios de stylistique, que nous connaissons aujourd’hui, n’existaient pas. Le dessin d’une automobile était subsidiaire aux besoins de l’ingénierie. La fonction primait sur la forme. Heureusement, Edsel Ford avait une perception raffinée de ce que devait être la beauté d’une automobile. Avec l’aide du talentueux Joseph Galamb, ils se fixèrent comme but de dessiner une auto dont les lignes seraient modernes, avec une petite saveur sportive, mais dont l’apparence donnerait comme effet qu’elle était de gamme supérieure à son prix de vente. Une voiture qui projetterait une image forte pour la compagnie Ford et pour son propriétaire. Comme base de départ, ils utilisèrent le dessin de la Lincoln, qui était justement à être redessinée.
La conception mécanique de la nouvelle Ford était en rupture totale avec celle de la vénérable Ford T. Son moteur était deux fois plus puissant, soit 40 ch versus 20 ch. Il est refroidi par l’action d’une pompe à eau, alors que la Ford T utilisait le système thermosiphon. La transmission à engrenages planétaires a été remplacée par une de type baladeur à trois rapports.
La nouvelle Ford avait également des freins aux quatre roues et luxe suprême, pour une voiture de cette gamme, des amortisseurs à doubles actions de marque Houdaille. Toutefois, Henry Ford refusa obstinément d’adopter une suspension plus moderne, en conservant ses ressorts semi-elliptiques, montés transversalement au-dessus des essieux.
La nouvelle Ford adopta le nom de Modèle A, afin de bien faire sentir que Ford faisait une renaissance. Pour la présenter, une colossale campagne de publicité de 5 jours dont le cout était de 2 millions de dollars fut déclenchée le matin du 28 novembre 1927. La réponse du public fut proportionnelle. Plus de 10 millions d’individus se sont présentés chez les concessionnaires, pour admirer la nouvelle Ford A. En seulement quelques mois, plus de 700 000 commandes furent prises par les concessionnaires Ford qui avaient enfin retrouvé le sourire.
Quand enfin les usines se sont remises à produire, les commandes ont pu être respectées. La grande variété de modèles offerts pouvait contenter le plus difficile des clients. L’année 1928 se termina avec 607 687 voitures de vendues, aux États-Unis seulement. Avec l’année 1929, Ford renouait avec des ventes de plus d’un million d’exemplaires, soit 1 045 004, pour être exact. Cependant, cette même année apportait avec elle, en octobre, l’une des pires crises économiques que le monde ait connues. Dans le but de relancer les ventes, Edsel avait choisi d’ajouter d’autres modèles, plus luxueux, à la liste déjà existante. De plus, la carrosserie avait été redessiner, afin de la rendre plus imposante. Son lancement, au cours du mois de janvier 1930, créa un impact légèrement moindre qu’en 1928, avec seulement un peu plus de neuf millions de personnes à se bousculer dans les salles d’exposition des concessionnaires. On ne peut pas gagner à tous les coups... Le châssis était le même, toutefois, le fait de changer les roues de 21 pouces pour des roues de 19 pouces, avec des pneus plus larges lui donnait une silhouette plus moderne. De nouveaux modèles furent ajoutés à la liste. Des versions « DeLuxe » des Roadster, Fordor et Coupe ainsi que les nouveaux modèles Victoria et Phaeton DeLuxe. Avec la crise économique qui devenait encore plus profonde, les ventes diminuèrent pour se chiffrer à 1 045 004.
L’année 1931 avait marqué un jalon dans l’histoire de la compagnie Ford, avec la sortie de la vingt-millionième Ford à avoir été fabriquée. La liste des modèles s’était encore allongée, avec l’arrivée de la A-400, une berline décapotable.
C’est au cours de cette période difficile de l’Histoire que la vedette de ce mois a été assemblée. Elle appartient à M. Pierre Tremblay propriétaire de plusieurs voitures anciennes. Malgré le charme de cette Phaeton DeLuxe, elle n’a pas été beaucoup appréciée des amateurs de la marque Ford de l’époque, ne se vendant qu’en seulement 3 946 exemplaires, en 1930 et 2 229 en 1931.
Malgré la crise économique, la Ford Modèle A avait tout de même réussi à se vendre à un peu plus de 5 millions d’exemplaires et plus tard, devenir une icône, parmi les amateurs de voitures anciennes. Afin de relancer l’économie, Henry Ford avait un As dans sa manche, un nouveau moteur V-8 coulé en bloc, une première mondiale. Mais ça, c’est une autre histoire.