Certaines marques d’automobiles, seulement par leur présence, projettent une image de puissance et de qualité, indiquant qu’elles appartiennent à une classe à part.
Le trio, Auburn, Cord et Duesenberg, entre certainement dans cette catégorie.
Il faut remonter loin, dans le temps, pour trouver les racines de ces marques. La première date de 1874, alors qu’un charron fonda une compagnie, sous le nom de Eckhart Carriage Company, qui, comme son nom l’indique, fabriquait des voitures hippomobiles. Cette compagnie continua à fabriquer des voitures hippomobiles de très bonne qualité, jusqu’au moment, où elle fut utilisée pour construire une automobile de marque Auburn, qui connut un succès en constante augmentation, alors que les voitures hippomobiles disparaissaient des catalogues de ventes, en 1918.
À la même période, au New Jersey, deux hommes étaient occupés à construire un moteur, huit cylindres. Ces derniers étaient comme la famille Eckhart, natifs de l’Allemagne. Il s’agissait de Frederick Samuel Duesenberg, né en 1876 et de August Samuel Duesenberg, né en 1878. Les deux étaient occupés à construire ce qui deviendra la voiture la plus célèbre au monde, la Duesenberg. Après avoir passé plusieurs années à construire des motos de course, les frères Duesenberg construisaient leurs premières automobiles, avec toujours en tête, les pistes de course. Le premier moteur de course, fabriqué par les Duesenberg, fut utilisé sur la piste de l’Indianapolis 500 de 1913. En plus de fabriquer des moteurs pour les bolides de course, ils en fabriquaient également pour des avions et des bateaux. La première automobile à porter le nom Duesenberg fut terminée juste à temps pour être présentée au salon de l’automobile de New York de 1920. Elle fut la première automobile à être équipée de freins hydrauliques aux quatre roues. Avec son puissant moteur et sa carrosserie légère, la Duesenberg atteignait une vitesse maximale de 152,8 km/h.
Alors que la marque Auburn allait de réussite en réussite et que les frères Duesenberg lançaient leur nouvelle voiture, dans une autre niche de l’industrie automobile, un jeune homme faisait ses premiers pas, dans ce Nouveau Monde. Après avoir terminé ses études, en 1913, ce garçon était âgé de 19 ans. Il était inconscient que sa destinée le conduira à des sommets, qui lui feront unir les compagnies Auburn et Duesenberg, populariser la traction avant, construire une prospère compagnie manufacturière d’automobiles, portant son nom, soit Errett Lobban Cord.
Il entra dans le monde de l’automobile par la porte arrière. Passionné par ce monde de l’automobile, qui prenait de plus en plus d’ampleur, il décida de s’y joindre. Il avait une certaine aptitude à exercer le métier de mécanicien, en plus d’avoir un talent inné pour dessiner une carrosserie. Il acheta une Ford T usagée. Il modifia la carrosserie, modifia également le moteur, afin de lui donner plus d’allant. Alors qu’il roulait sur les boulevards de Los Angeles, il attira l’attention et bientôt il fut sollicité par plusieurs amateurs, désirant acheter la Ford T, qui était capable de rouler à 70 m/h, alors que la vitesse d’une Ford T normale excédait à peine 45 m/h. Les enchères montèrent à 675,00 $ alors qu’il avait payé que 75,00 $, pour acheter cette Ford T. Voyant le succès de son travail, Cord modifia beaucoup de Ford T en Speedster et gagna beaucoup d’argent.
Œuvrant toujours dans l’industrie automobile, nous retrouvons Errett L. Cord, en 1924, alors qu’il vendait des autos de marque Moon. Cette année-là, une courte récession frappa l’économie. Auburn connaissait une diminution de 34,1 % de ses ventes, avec seulement 2 607 voitures de vendues, ce qui généra des pertes de 69 800,00 $, à la fin de l’année 1924.
Visiblement, la compagnie Auburn avait besoin d’un nouveau meneur. Par hasard, Cord, qui en avait assez de vendre des Moon, désirait quitter la distribution pour travailler dans la fabrication d’automobiles.
Son employeur, John Quinlan sachant cela, lui présenta Ralph Bard, un des actionnaires de la compagnie Auburn. Connaissant les problèmes, auxquels la compagnie devait faire face, il proposa ses services.
Le 15 juillet 1924, il arriva à Auburn. Il étudia le fonctionnement de l’usine, pendant plusieurs semaines, puis retourna rencontrer Ralph Bart et son groupe. Ces derniers lui offrirent un salaire de 36 000,00 $ par année, qu’il refusa, préférant recevoir 20 % des profits et obtenir la permission d’acquérir des titres de la compagnie, ainsi que les pleins pouvoirs, pour diriger la compagnie Auburn. Par ailleurs, Cord risquait gros, car la compagnie Auburn était une naine, face à plusieurs marques d’automobiles. Seulement six, des 122 fabricants d’automobiles, actifs, occupaient 85 % du marché. De ces six, Ford en détenait 55 %, GM, Dodge, Studebaker, Willys-Overland et Hudson se partageaient 30 %. Seulement 15 % étaient laissés aux 116 autres compagnies d’automobiles.
Pendant que Cord travaillait d’arrachepied pour remettre Auburn sur ses roues, les choses allaient de mal en pis, pour les frères Duesenberg. Leur compagnie avait été placée en redressement judiciaire, par un fournisseur impayé. Mais, avec des actifs de 1,6 million $ et un passif de seulement 200 000,00 $, le juge, opta pour que la compagnie puisse continuer à construire des autos. Toutefois, la production d’une ou deux voitures par semaine n’était pas suffisante pour rentabiliser les opérations. La production de Duesenberg de 1926 se chiffra à environ 100 voitures.
Errett Cord, pendant ce temps, continua de négocier l’achat de la Duesenberg inc. Il réussissait enfin, le 6 octobre 1926, pour 500 000,00 $.
Avec cette nouvelle acquisition, E. L. Cord contrôlait deux marques d’automobiles. Toutefois, il était également très intéressé par la traction avant, mode de propulsion pratiquement inconnu en Amérique du Nord, sauf quelques expériences qui avaient été faites sur des bolides de course, sur les pistes d’Indianapolis. Il se consacra donc à ce nouveau rêve.
Les ingénieurs se mirent au travail, au début de l’année 1928. Au milieu de l’été, le châssis était déjà conçu, la carrosserie suivit quelques mois plus tard. La production de la nouvelle traction avant qui portait le nom du patron, soit Cord L-29. Elle fut présentée au public, en juin 1929. Cette présentation fut suivie par d’autres, en Europe et en Asie.
L’enthousiasme, avec lequel E. L. Cord menait ses affaires, fut brutalement plombé, par la crise économique qui éclata le 29 octobre 1929.
Les ventes de toute l’industrie, en général, s’effondrèrent, alors que le chômage montait en flèche. La plupart des constructeurs d’automobiles indépendants fermèrent leurs portes. Seules, quelques-unes des marques produites par les trois grands, Chrysler, GM et Ford, sont parvenues à survivre à cette catastrophe, jusqu’à aujourd’hui. Les autres avaient disparu, à plus ou moins brève échéance, seulement quelques années, après le début de cette crise, qui a été la pire de tous les temps.
Errett Loban Cord a été, indubitablement, l’un des personnages parmi les plus colorés de l’histoire de l’automobile. Il avait un sens des affaires hors de l’ordinaire, en plus d’un sens de l’esthétique très aiguisé. À son crédit, nous pouvons constater qu’il a guidé trois marques d’automobiles qui se situaient et se situent encore, aujourd’hui, parmi les plus prestigieuses du monde de l’automobile. Ce prestige est encore aujourd’hui, tellement marquant, que malgré le fait que ces marques avaient disparu en 1937, soit depuis presque huit décennies, que plusieurs compagnies se sont lancées dans la fabrication de répliques, avec des carrosseries montées sur des châssis d’autos modernes, généralement empruntés de Ford et de Lincoln.
Le premier à construire des copies de ces véhicules prestigieux fut Glenn Pray. Ce dernier, né en 1925, à Rocky Ford, Colorado, avait un talent marqué pour la mécanique. À l’âge de 15 ans, il avait construit un tracteur, en utilisant des pièces hétéroclites. Il entra dans les Marines, qu’il devait quitter à cause d’une fièvre rhumatismale. Au début des années cinquante, il se trouvait un emploie, en tant que professeur en mécanique automobile, au Tulsa Central High School. En réparant et modifiant de vieilles autos des années trente, il était tombé en amour avec les produits Cord. La Cord elle-même était une voiture, avec beaucoup d’innovations techniques, par exemple, une traction avant, des phares escamotables, une carrosserie ultra légère et surtout, un dessin futuriste, aux lignes pures, sur les modèles 810/812. Elles étaient longues, basses et gracieuses.
Aidé de ses élèves, il avait restauré une Cord, en réparant le moteur. Cette restauration lui donna l’idée de ressusciter la marque Cord, qu’il admirait tant, mais qui avait disparu du marché depuis 1937. Tout ce qui restait, de cette compagnie, était une coquille vide, appartenant à un investisseur nommé Dallas Winslow, qui vendait des pièces à ceux qui restauraient des Cord d’occasion.
Il se rendit donc rencontrer Winslow, à l’ancienne usine de Cord, à Auburn, Indiana, pour lui demander si sa compagnie était à vendre. La réponse fut rapide, le prix demandé était de 75 000,00 $. Pray ne sursauta même pas devant le prix demandé, lui qui avait un salaire annuel de seulement 2 400,00 $ comme professeur de mécanique. Winslow lui demanda comment il pensait payer cette somme. Pray lui répondit calmement que le seul homme riche qu’il connaissait était lui-même, Dallas Winslow, et qu’il comptait sur lui, pour lui fournir cette somme. Devant le cran de Pray, Winslow décida de le financer. Pray devait donc résoudre deux problèmes, premièrement, comment rembourser son prêt et deuxièmement, que faire de l’usine?
Il avait réussi à trouver une vieille usine, à Broken Arrow, dont les fenêtres étaient brisées et le plancher, couvert d’environ 10 cm de plumes et de fientes de pigeons. Une fois l’usine mieux aménagée, il déménagea les 700 000 pièces, les classa et fit rédiger un catalogue, avec l’aide de son ami, Felix De Geyter. Ce n’était qu’un début à une longue liste de problèmes. Il calcula qu’il aurait besoin d’au moins 500 000,00 $ pour pouvoir faire rouler la première Cord, au bout de la chaine de montage. Il lança une campagne de levée de fond, pour obtenir les fonds nécessaires à une telle aventure.
L’ancienne usine étant remplie de pièces, Pray ouvrit une nouvelle usine au 9260 Principale, Broken Arrow. Dans un article de journal, Pray annonçait que la future Cord serait une voiture de prestige de la classe d’une Rolls-Royce. La revue, Car and Driver publia un article sur les essaies routiers, faits avec un prototype de la nouvelle Cord, en février 1965. En 1966, Pray était prêt à expédier ses premières Cord. Toutefois, les choses tournèrent très mal. Après que seulement trois Cord furent livrées, Pray fut mis à la porte de sa compagnie.
Il dut reprendre le bâton du pèlerin, fonda une nouvelle compagnie, se trouva d’autres partenaires, une inévitable décision qui conduira à des conflits d’opinions qui une fois de plus le forcera à quitter la compagnie. Comme un malheur n’arrive jamais seul, sa femme Nita, demanda le divorce. Il se retrouva au volant d’un camion, pour transporter son bureau vers un petit appartement miteux. En route, sa table à dessin tomba hors du camion.
La compagnie, qui venait de mettre Glenn Pray à la porte, faisait, quelque temps plus tard, faillite après que seulement 97 Cord furent assemblées. Toutefois, malgré le fait que Pray avait été mis à la porte de la compagnie, c’était sa signature qui était sur les demandes d’emprunts. Ainsi, du jour au lendemain, il se retrouva avec des centaines de milliers de dollars de dettes. Non seulement un malheur n’arrive jamais seul, mais dans ce cas-ci, il était accompagné de quatre autres...
Il décida de retourner avec Felix De Geyter au Auburn-Cord-Duesenberg. Il avait réfléchi sur le fait qu’en plus des Cord, la voiture qu’il admirait pratiquement autant était la Auburn Speedter, 1935 — 36. Lentement, un plan prenait forme. Il décida de construire une deuxième génération de Auburn Speedster, en utilisant l’expérience qu’il avait acquise, lors du fiasco de la construction avortée, de la Cord. Cette fois, il la construirait à sa façon.
Au début, la production était d’une Auburn Speedster par mois. La première sortait de l’usine de Broken Arrow, en 1968. Son prix de vente était fixé à 9 500,00 $. La clientèle visée était celle des biens nantis et du Jetset. Cette gamme de prix excédait celle de Cadillac qui offrait sa berline Fleetwood Brougham à 8 757,00 $. D’autres célébrités continuèrent à acheter des Auburn, jusqu’en 1980, alors que Glenn Pray faisait une crise cardiaque. Il cessa de fabriquer des Auburn. Incapable de rester inactif, il retourna à l’usine Auburn-Cord-Duesenburg où, avec son fidèle ami, Felix De Geyter et son fils Doug Pray, ils vendirent des pièces et restaurèrent des autos, tout en consacrant du temps à retrouver 77 des 97 Cord qu’ils avaient fabriquées.
Il se rendait au bureau tous les jours. Puis, un jour, il dit à son fils qu’il était fatigué, mais heureux d’avoir fait tout ce qu’il avait voulu faire, dans sa vie. Il ajouta, maintenant, je ne veux qu’aller dormir. Deux jours plus tard, le 24 mars 2011, il mourrait dans son sommeil. Il était âgé de 85 ans.
L’héritage de cet hyperactif qu’était Glenn Pray est considérable. Son idée de fabriquer des autos de deuxième génération a été reprise par un grand nombre d’amateurs. Par exemple, plus d’une dizaine de compagnies ont fabriqué des Auburn. C’est le cas de notre vedette, qui a été construite par la Compagnie California Custom Coach, en 1978. Elle appartient à M. Marc André Théoret qui s’en est porté acquéreur, en 2008.